Est-ce qu'un jour je jetterai l'outil ?
Les
causes d'une telle décision peuvent être multiples. Les plus
apparentes résident généralement dans les empêchements matériels.
S'il peuvent être bien réels, ils sont parfois l'excuse derrière
laquelle on se cache, pour ne pas regarder en face la véritable
raison de notre souhait d'arrêter.
On
ne commence généralement pas la pratique en se fixant une date
butoir, à partir de laquelle on arrêterait. Si l'on s'arrête de
pratiquer, cela signifie donc que quelque chose d'imprévu s'est
produit entre-temps...
Servir
un but
L'Aïkido
étant un outil, il doit servir un but. Si ce but n'est pas défini à
un moment donné, l'outil peut finir par lasser son utilisateur.
Ainsi,
la pratique peut fasciner dès le début. Les mouvements sont
complexes et beaux. Le décorum est original et empreint de
solennité. Le professeur est extraordinaire. Les camarades joyeux et
intéressants. Les premiers pas sur les tatamis lèvent certaines
appréhensions : envolée la peur de la chute, disparue
l'angoisse du contact, exit les raideurs corporelles...
Et
pourtant... Au bout de quelques années, une fois les techniques
apprises – plus ou moins maîtrisées, on sent qu'il manque quelque
chose.
C'est
à ce moment-là que beaucoup arrêtent, pour se tourner vers une
autre activité plus tentante. Et le cycle peut ainsi se répéter à
l'envi avec moult disciplines et arts aussi différents les uns des
autres.
Persévérer
est un trésor
Dommage !
C'est exactement à ce moment-là qu'il faudrait persévérer. Mais
pas persévérer machinalement ! Non. Persévérer en
réfléchissant profondément, en ressentant, ce que l'on cherche à
réaliser à travers l'outil Aïkido.
Que
l'on souhaite creuser l'aspect martial, spirituel, culturel, sportif,
bien-être... la difficulté reste la même. Il va falloir réfléchir,
lire, tester, rencontrer, expérimenter, théoriser, voyager,
remettre en cause, etc.
Le
professeur, la discipline ou le dojo ne sont qu'un cadre
facilitateur. Au début, ce cadre fournit tout et les progrès
sont rapides. Mais il arrive un moment où il n'est plus suffisant.
C'est alors l'individu et la quantité de sueur qu'il dépense qui
font les progrès.
Partout
la difficulté est la même : se garder de réponses de surface nous
oblige à regarder les parties les plus sombres et les plus sensibles
de nous-même.
Fuir
dès que les difficultés pointent le bout de leur nez n'a pas de
sens si l'on pratique une voie !
Ne
pas pratiquer par habitude
En
revanche, cela ne signifie pas qu'il faille continuer à tout prix
une pratique qui – après mûre réflexion – ne fait plus sens !
C'est là que réside la principale difficulté : savoir si l'on
arrête par peur ou par sagesse. Et comme le dit l'adage
anglo-saxon : « you don't know when it's enough, untill
you know it's too much » (vous ne savez pas quand vous en avez
fait assez, jusqu'à ce que vous sachiez que vous en avez trop fait).
L'art de la mesure est difficile. Il me semble impossible de choisir
de continuer si l'on n'est pas capable de songer à arrêter. Le
véritable choix s'effectue lorsqu'on est capable de réaliser l'une
ou l'autre des options, pas quand une option est évidente ou facile.
Un outil, plusieurs buts
L'Aïkido
est un outil. Il peut servir un but. Il peut également servir
plusieurs buts successifs, qui évolueront nécessairement avec la
progression de l'individu. L'Aïkido peut ainsi nous accompagner tout
au long de la vie. Mais il peut également se révéler inefficace
dans certaines configurations. Dans ce cas il ne faut pas hésiter à
le compléter par un autre outil, à faire une pause, à l'abandonner
pour un autre outil... Cela peut nécessiter un certain courage, mais
l'épanouissement d'un individu compte davantage que sa fidélité à
un outil.
Mieux
vaut arrêter pour de bonnes raisons que de continuer par habitude.
L'idéal étant, bien sûr, de continuer pour de bonnes raisons. Car,
où que l'on aille on rencontrera les mêmes difficultés, puisque
celles-ci émanent de nos blocages. Et changer d'outil c'est perdre
du temps, puisque chaque nouvel outil nécessite une durée minimale
afin d'être appréhendé et utilisable.
La
voie la plus rapide, la plus directe est bien la plus difficile,
puisqu'il s'agit de regarder les choses en face, sans échappatoire...
Cet article est initialement paru dans Aïkido Journal n°64