Kamae – la garde en Aïkido
Un exemple de garde |
La
danse classique défini la position première, le sprinter se
place dans les starting blocks, le boxeur ou l'escrimeur ont
leur garde, etc.
Chacune
de ces positions préparatoires est définie par la nature de
l'exercice en jeu et par les règles qui le régissent. Ainsi, une
garde de boxe anglaise n'est pas la même qu'une garde de boxe thaï,
discipline où les coups de pieds sont autorisés. Une garde de
fleurettiste n'est pas la même qu'une garde d'épéiste où il
n'existe pas de notion de priorité et où les zones de touche sont
différentes. Etc. , etc.
L'Aïkido
n'est pas défini comme un sport de combat et par conséquent il
n'est régi par aucune règle. Cela peut rendre compliqué la mise en
place d'une garde – kamae - puisque potentiellement tout
peut advenir.
Géométrie
Bien
sûr, d'un point de vue mécanique, la position de trois quart est la
plus intéressante, puisqu'elle limite la taille de la cible, tout en
permettant une action des deux bras. C'est pour cela que la plupart
des disciplines d'opposition l'ont adopté. Il s'agit de la position
hanmi de l'Aïkido. La traduction littérale en est :
« demi-corps », afin de rappeler que l'adversaire ne doit
percevoir que la moitié de la largeur du corps, ce qui se produit
lorsque l'on place son buste à 45° par rapport à la ligne
d'attaque.
On
ajoutera que les genoux, sans tensions, doivent être fléchis afin
d'éviter les coups de pieds pouvant les mettre en butée. Le poids
doit également être équitablement réparti entre le pied avant et
le pied arrière, afin d'avancer ou de reculer à l'envie.
Potentiel
de mouvement
Toutefois, ce qui fait la valeur d'une garde n'est pas sa rigueur géométrique,
mais la quantité de mouvements qu'elle permet d'effectuer. S'il a la
possibilité de le faire, l'adversaire de haut niveau attaquera
certainement la partie la moins mobile du corps, afin d'être sûr de
faire mouche. Pour cette raison, quels que soient nos choix de garde,
ceux-ci doivent permettre de bouger n'importe quelle partie du corps
dans n'importe quelle direction, instantanément. Léo Tamaki parle
judicieusement de « potentiel de mouvement ».
Être
déjà en train de bouger
En
Aïkido, il n'existe pas de sautillement préalable à l'action,
comme en boxe anglaise par exemple. Cela s'explique par le contexte
de travail. Hors du ring le sol est inégal et sautiller peut
signifier perdre l'équilibre. Hors du ring le nombre d'adversaire
peut varier et donc sautiller avantageusement par rapport à l'un peut
signifier se mettre en défaut par rapport à un autre. Hors du ring
des armes peuvent survenir et sautiller est peu judicieux face à une
arme. Etc. , etc.
En
fait il existe plusieurs disciplines – généralement plus
traditionnelles, mais pas exclusivement – qui n'emploient pas une
garde sautillante.
Pour
autant, ne pas sautiller a pour effet négatif de tendre à limiter
la mobilité des pratiquants. Si cela peut se justifier d'être lourd
et ancré dans une discipline de préhension où l'on cherche
exclusivement à projeter (grappling, judo, lutte, etc.), cela n'a
aucun sens lorsqu'on frappe ou lorsqu'une arme blanche apparaît.
En
ce qui nous concerne, il faut donc déjà être en train de bouger
dans toutes les directions, sans pour autant bouger. C'est ainsi que
l'on pourrait définir le potentiel de mouvement.
La
légèreté
De la légèreté... |
Ce
que l’œil perçoit
Pour
autant, visuellement, la légèreté peut passer pour de la
faiblesse. Ainsi, certains adeptes, pratiquant selon d'autres
principes, déclarent alors : « il n'est pas ancré, il
n'est pas puissant, cela ne peut pas fonctionner ». Et ils
auront raison ! Par rapport à leurs principes... Il est
difficile d'observer sans porter de jugements, mais cela est
indispensable dans le cadre du combat. Observer une façon de bouger
différente et la cataloguer négativement sans la comprendre peut
être la source de la défaite.
C'est
l'éternel problème de « vouloir faire de l'Aïkido »,
plutôt que de vouloir faire fonctionner les techniques. La
discipline ayant subit diverses influences, des mélanges parfois
incompatibles se sont opérés et ont affaibli l'efficacité
martiale.
Pourtant,
lorsque l'on regarde les vidéos du fondateur on ne peut que
remarquer la légèreté avec laquelle il se déplace ! Son
corps est exempt de tensions et de lourdeurs. Il n'est nul besoin
d'être puissant et ancré pour projeter ! D'autant plus si l'on
« utilise la force de l'adversaire ».
De
la conscience
L'un
des effets de la recherche de la légèreté est de nous obliger à
nous rendre conscient de toutes les parties de notre corps. Nous
sommes tous conscients de notre corps, mais à des degrés divers.
Que que peut donc signifier être conscient ? À
mon sens, il s'agit d'être capable de percevoir des sensations
venant des différentes parties du corps, de les localiser dans la
surface et dans la profondeur. En somme il s'agit d'être capable de
placer son attention là où l'on sent quelque chose. Les zones les
plus tendues résistent souvent à cet exercice, mais d'autres zones
non tendues restent parfois également exemptes de tout signal
sensitif.
Cela
est extrêmement difficile et demande un long et intense travail. Il
arrive que certaines parties, différentes chez chacun, ne soient pas
pleinement conscientisées, même si elle peuvent être sensibles.
La
connaissance de soi
Ce
type de travail est très pertinent dans le cadre d'une recherche de
connaissance de soi. On oublie parfois qu'on a un dos, des pieds et
on les utilise machinalement. Oublier une partie de soi c'est un peu
comme oublier un aspect de sa personnalité.
En
ce sens, une pratique martiale extrême, où tout est permis, nous
pousse à être conscient de l'entièreté de notre être. C'est à
ce point-là où la pratique devient une voie de développement. Ce
qui est surprenant, c'est que l'origine d'un tel travail se trouve
dans une situation apparemment extrêmement violente et brutale. Si
l'on supprime la situation de combat de survie, qui nécessite la
mise en œuvre d'une profonde conscience de soi, alors on supprime du
même coup la possibilité de se connaître davantage.
Tout
le monde a peur d'un combat sérieux. Un géant, tel que Oyama
Masutatsu, fondateur du karaté kyokushinkaï, ayant remporté des
centaines de combats et affronté des taureaux, exprimait clairement
avoir peur.
L'Aïkido
nous offre un formidable outil, progressif, intelligent,
non-agressif, pour aborder le combat et nous amener à une conscience
plus fine de nous-même. Il serait dommage de se cantonner à la
pratique de formes techniques inopérantes ou de katas vidés de leur
substance.
Accepter
d'allouer une partie de son entraînement à un travail libre
intelligent, au sein duquel les limites sont éprouvées, c'est faire
un pas de plus vers la connaissance de soi et rendre justice à
l'Aïkido.