À partir de quel âge est-on maître ?

[Temps de lecture : 4min]

« À partir de quel âge est-on maître  ? » Un enfant aurait pu poser cette question. Toute simple en apparence elle contient plusieurs interrogations sous-jacentes : Qu’est-ce qu’un maître ? Y a-t-il un âge pour le devenir ? Devient-on réellement maître ?


Ueshiba Morihei à l'âge de 38 ans

Qu’est-ce qu’un maître ?

Le mot vient de l’ancien français : maistre, lui-même issu du latin magister « celui qui dirige ». Le magister peut diriger un vaisseau, des hommes, un enseignement... Celui qui dirige c’est donc celui qui connaît la destination. C’est aussi celui qui prend soin des autres. Diriger les hommes dans une direction qu’on est le seul à connaître, tout en prenant soin d’eux, c’est maîtriser.


Maîtriser puis glisser...

Étrange commodité du langage, le maître maîtrise. Il maîtrise son sujet, mais également la manière de l’insérer dans un environnement plus vaste. Les maîtres d’arts martiaux excellent dans la pratique de leur art, mais savent également se positionner harmonieusement en société.

C’est là que l’on peut commencer à glisser en prêtant au maître des compétences qu’il n’a pas. Ce biais cognitif, bien connu sous le nom d’effet de halo, consiste à attribuer des qualités supplémentaires à quelqu’un sous prétexte qu’il excelle dans un domaine.

Dans le contexte des arts martiaux, on prête souvent au maître des vertus telles que la sagesse ou la bienveillance. Si une pratique bien menée est censée développer une forme de sagesse, c’est loin d’être une évidence. Il nous faut constamment vérifier que la personne à qui l’on s’en remet possède bien les qualités qu’on lui suppose.

Dans notre quête vers le discernement, il est malheureusement possible que le maître se comporte comme… un maître. Il est alors encore plus difficile de le regarder comme un être humain parmi d’autres. Nous sommes d’autant plus biaisés dans nos perceptions que nous souhaitons à tout prix être en contact avec quelqu’un d’extraordinaire. Souvent cela rassure et permet de donner du sens… Il faut prendre garde à ne pas s’appuyer trop fortement sur des figures tutélaires fantasmées : la chute est souvent brutale...


7 minutes pour comprendre l’effet de halo :



Pourquoi et comment devenir maître ?

Ainsi, maîtriser un sujet permet, par effet de halo, d’acquérir un statut social. Quelle autre raison pour devenir maître ? Si aujourd’hui le monde occidental s’articule autour de valeurs démocratiques, il n’en reste pas moins marqué par des comportements parfois très animaux. Acquérir un statut social avantageux n’est pas une lubie, c’est à l’origine un besoin vital.

Si devenir maître implique de fortes responsabilités, les avantages liés à ce statut son indéniables. Il est naturel qu’un investissement auprès des autres offre des bénéfices en retour. Il faut cependant prendre garde à ne pas retirer des avantages de la position de maître sans endosser les lourdes responsabilités qui y sont associées.

Malheureusement, ce statut est parfois occupé par des personnes plus intéressées par les avantages, que susceptibles de gérer les responsabilités qui leur incombent. Tout le monde n’aura pas nécessairement le profil requis pour incarner cette fonction avec brio. Si n’importe qui peut, à force de travail, maîtriser un sujet, tout le monde n’aura pas cette capacité à guider les autres avec humanisme.

Mais alors, peut-on réellement devenir maître ? S’agit-il d’un concours de circonstances qui nous révèle ? Il faudrait pour répondre à ces questions trancher l’éternel débat concernant le libre arbitre. Peut-on devenir ce que l’on souhaite ? Ou bien finit-on par décréter, par refus d’admettre son impuissance, qu’on a toujours souhaité ce qui nous arrive ? Libre à chacun de choisir sa voie ;-)


Reconnu par ses pairs

Le paradoxe de la maîtrise c’est que dès lors qu’on fait autorité sur un sujet, on est le seul à pouvoir juger de la qualité de notre travail. Ainsi, le public, n’a théoriquement pas les compétences pour dire si un maître en est réellement un. De fait, ce sont les pairs qui valident la compétence du maître. Assez drôlement, c’est le public, peu capable de parfaitement percevoir la qualité du maître qui est le plus à même de le porter aux nues !



Le paradoxe c'est d'être adoubé par des personnes ne comprenant rien à votre travail...


Le Senseï

Dans la culture japonaise le terme de Senseï est souvent traduit par « maître ». Il désigne simplement « celui qui était là avant ». Celui qui est là avant en sait un peu plus, mais il ne sait pas tout. Il arpente le même chemin, mais n’est pas arrivé au bout. Certes, s’il chemine depuis longtemps et que l’élève vient de se mettre à marcher, il est logique que le Senseï lui paraisse arrivé au terme de son voyage. Mais il s’agit là d’une simple question de perspective.

Ainsi, ce terme de Senseï suppose une forme d’humilité et semble murmurer à l’élève : « je ne suis pas encore arrivé, je marche toujours. »



À partir de quel âge est-on maître  ?

Le maître est donc celui qui maîtrise. C’est aussi celui qui guide. Il guide parce qu’il est là depuis plus longtemps que l’élève.

La maîtrise peut s’acquérir rapidement. Certains experts affirment qu’il faut cinq ans pour former un champion du monde. Bien sûr il s’agit de cinq ans de travail acharné, mais cela représente une durée relativement courte finalement.

En revanche, être capable de guider quelqu’un sur la voie semble demander plus d’expérience. En l’occurrence une expérience non compressible puisqu’il s’agit de guider grâce à son expérience de vie. Il est ainsi logique que l’on ait envie de se tourner vers des maîtres plus âgés et donc plus expérimentés que soi.

Mais comme le dit l’adage, « l’expérience est une lanterne qui n’éclaire que celui qui la porte »...

Mais nous pouvons aussi avoir un rapport plus pragmatique à la notion de maître en s’inspirant de ces mots que Maître Tamura aurait prononcés. À son image ils vont droit à l’essentiel : « un maître c’est quelqu’un qui possède un savoir que vous voulez obtenir. Celui-là c’est un maître ».


Tamura sensei




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