Devenir soi




Le Budo est souvent décrit comme un système d'éducation à base martiale. Le mode de transmission employé est le plus souvent le kata. Il s'agit de répéter une forme pré-établie afin de l'acquérir puis d'intégrer les principes corporels et stratégiques qu'elle contient.

Ce mode de transmission a été choisi pour de multiples raisons. Si certaines d'entre elles sont très probablement culturelles, il semble évident que le kata existe aussi parce qu'il est efficace pour transmettre une compétence combative. Bien sûr, le kata n'est pas la seule étude nécessaire à la préparation au combat, le travail libre est aussi fondamental. Cette seconde étape est d'ailleurs rarement abordée de nos jours.

Un maître et un élève
Ce qui m'intéresse de décrire aujourd'hui c'est l'impact de la pratique du kata sur l'individu.
Ce type de transmission implique un sachant et un apprenant. Autrement dit un maître et un élève. Cela semble logique. Là où le bât blesse, c'est lorsque l'on glisse du sachant vers le sachant omniscient. Car être maître d'Aïkido ne signifie pas être maître en tout...

La fonction d'un système est de nous aider dans notre progression, pas de faire à notre place. Par conséquent, quel que soit le système employé et quelle que soit la qualité du transmetteur, il existe toujours un moment où l'individu doit franchir une étape seul, simplement armé de son courage et de son intelligence.

Malheureusement, la rigidité des systèmes que nous employons (notamment les systèmes japonais, mais pas exclusivement), tend à nous placer dans une forme de passivité : nous attendons que le prof nous dise quoi faire. Notons que ce mécanisme est renforcé si l'enseignant a glissé dans le champ du sachant omniscient.
Ainsi, nous pouvons devenir d'excellent « copieurs » de la forme, sans pour autant jamais atteindre la cible : nous-même.

Faire plaisir
En effet, à trop vouloir copier le moule, à trop vouloir devenir un « bon » pratiquant, nous devenons le moule et nous ne sommes plus tout à fait nous-même. Aucun jugement ici : les arts martiaux permettent simplement de mettre en exergue un mécanisme qui consiste à vouloir faire plaisir afin d'être aimé. Ce faisant, on rentre dans une spirale sans fin qui consiste à essayer de deviner ce que veut l'autre (le prof, le jury, le public, les parents, le conjoint, etc.) et se plier en quatre pour y correspondre. Cela rend temporairement heureux, mais sur le long terme on s'oublie et on ne sait plus qui on est.

Pour moi la question fondamentale est donc : comment avec une forme figée telle que le kata, peut-on aller vers l'expression de soi ?
En d'autres termes : comment intégrer une prison peut nous rendre libre ? Libre du regard des autres et libre du regard que l'on porte sur soi.

Stage de St-Félicien (Ardèche)

Accepter d'être traversé
À titre personnel j'ai trouvé des réponses à ces questions dans les moments de pratique les plus stressants : les passages de grade et les démonstrations.
À mon sens, il y a deux manières de vivre le moment que l'on passe sous le regard des autres : être dans le contrôle et ne montrer que ce que l'on veut que les autres perçoivent, ou bien accepter d'être traversé et montrer toutes les parties de soi.
On est facilement tenté de vouloir introduire du contrôle dans l'image que nous renvoyons aux autres (et à nous-même) par peur d'exposer des parties de nous que nous jugeons négativement.

Mais dans les moments de stress intense ou d'extrême fatigue, on ne peut plus cacher quoi que ce soit. Cela nous amène donc à accepter d'être traversé de part en part par le regard des autres. Cela pousse à être plus authentique. Il s'agit de moments d'une extrême vulnérabilité. Il me semble que c'est dans ces instants-là que l'on finit par accepter nos failles. On peut alors se dire : « en effet mon mouvement n'est pas parfait, en effet ma posture a un défaut, en effet j'ai tel tic, etc. , mais je n'ai pas menti, j'ai été authentique et j'ai pleinement accepté la situation ». Le fait de décaler l'enjeu (il ne s'agit plus d'être parfait, mais simplement d'être vrai) amène beaucoup de détente. Et ce relâchement, tant recherché, nous permet par la suite d'être plus précis dans notre travail.

NAMT de Liège (2017) avec Léo & Shizuka Tamaki, Arnaud Lejeune, Adrien Crovato et Germain Chamot

Ainsi la recherche de l'expression de soi, si elle n'est probablement pas la raison première pour pratiquer les arts martiaux, permet d'aller vers une meilleure connaissance de soi.
Et cette meilleure connaissance de soi amène inévitablement à une meilleure qualité de pratique.

On a tendance a séparer nettement la recherche personnelle de la recherche d'efficacité. Il me semble pourtant que ces deux voies s'entremêlent et se nourrissent l'une l'autre.

Quelques pistes...
En ce qui concerne les arts du mouvements on peut déceler deux grandes familles d'approche : celles qui privilégient les mouvements et celles qui privilégient les postures.
A priori les deux approches semblent complémentaires : les postures marquent les temps entre les mouvements et les mouvements existent entre les postures.

Là où une profonde différence commence à se faire sentir c'est dans la façon d'évaluer la qualité d'un mouvement ou d'une posture.
En effet, la posture est souvent perçue par son aspect externe, et les remarques qui nous viennent sont souvent assez « basiques » : les orteils sont-ils alignés avec les genoux ? La colonne vertébrale est-elle verticale ? Les bras sont-ils tendus ? Etc.
A contrario, les critères pour évaluer un mouvement sont beaucoup plus complexes et demandent un œil plus aiguisé : y a-t-il eu un appel avant le mouvement ? Y a-t-il eu une accélération ? Y a-t-il eu un excès de contrôle ? Y a-t-il eu un temps mort ? Etc. Juger de tout cela est plus compliqué... parce que ça bouge !
Les critères qui permettent de juger de la justesse d'un mouvement sont beaucoup plus internes, personnels, de l'ordre du ressenti. Il n'y a pas de règles à proprement parler. Chacun peut devenir autonome dans cette quête. En revanche, lorsqu'on évalue une posture il y a souvent une liste de critères qui a été écrite par on ne sait qui et qu'il est bien souvent impossible de respecter totalement. Cela crée une sorte d'injonction à la perfection qui, en conséquence, crée un besoin de contrôle et cela produit des mouvements très hachés.
Ainsi il me semble plus juste de dire que la posture naît du mouvement, plutôt que l'inverse.
Unegarde n'existe que parce qu'elle permet de produire un ensemble de mouvement.

Comprendre tous ces éléments est fondamental pour aller vers soi car la liberté réside dans le mouvement, non dans la posture que d'autres ont édicté à notre place.
Tout le travail consiste donc à arrêter de vouloir « bien faire », à arrêter de vouloir contrôler. Cela implique d'accepter de faire des erreurs. Mais cela ne signifie pas pour autant que l'on pratique sans sans direction de travail. Simplement il s'agit de passer de la recherche du résultat à la recherche du moyen. C'est comme accepter de vider sa tasse. Cela est difficile car cela suppose d'accepter d'oublier ce que l'on sait et de se placer en position de vulnérabilité. Mais le chemin est bien plus savoureux ainsi !


Cet article est initialement paru dans Aïkido Journal 74.

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